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On décrypte avec Martial de Total Heaven le manifeste Indies First de la FELIN

Feather s'est rendu à Total Heaven pour échanger avec Martial, le co-gérant du disquaire, sur le manifeste Indies First de la Fédération Nationale des Labels et Distributeurs Indépendants (FELIN). On vous en dit plus !

© Guillaume Ferran

On s’étonne à chaque rentrée de l’incroyable marée humaine qui se déverse dans les magasins IKEA, tout comme on s’amusait il y a quelques années de l’immense file d’attente générée par l’ouverture du premier Starbuck bordelais. Symptômes de l’uniformisation des goûts, ces phénomènes, loin d’être insidieux, restent observables et invitent ainsi à un certain recul.

Que dire cependant, du rapport ô combien solitaire qu’entretiennent les individus avec leurs plateformes de streaming musical ? À ce propos, la mise en évidence et donc la remise en question de cette standardisation semble plus délicate.


Ce n’est pas un secret, les artistes sont les grands perdants de ce mode de diffusion, dont l’indécence du modèle de rémunération a fait l’objet de nombreux cris. En dehors du live, la vente physique reste le moyen privilégié d’alimenter l’industrie musicale, certes, mais aussi et surtout sa filière indépendante, fragile par essence et pourtant indispensable.

C’est pourquoi la FELIN s’est donné pour mission de sensibiliser les consommateurs de musique, à « l’urgence pour la filière musique Indépendante de rester en vie », cela à travers un manifeste :

C’est bien là où le bât blesse. Sans secteur indépendant, la musique n’est plus qu’un double calcul, celui du plus petit dénominateur commun, doublé d’un rapport coût/bénéfice. Sans secteur indépendant, le secteur mainstream se trouve lui-même privé d’une source artistique malléable à souhait, car même dans la soupe la plus coupée, il y a au départ des produits de qualité.


Sensibiliser le consommateur français aux problèmes du secteur indépendant ? Pas si évident, comme nous l’explique Martial, co-gérant du disquaire Total Heaven : « Je pense que le public ne se pose pas tellement la question de savoir si c’est français, ou étranger, ou même si l’album est sorti sur un label indé ou sur une grosse major, c’est juste que le disque leur plaît ».


Il faut dire que le secteur indépendant est loin d’être uniforme, s’y mélangent sans forcément se croiser, des labels de chambre, fruits du travail bénévole d’une ou deux personnes, tout comme de plus grosses machines bien huilées. Pour Martial, cela ne fait pas forcément une grande différence en termes de réception : « Il y a plein de cas de figure, il y a de petits labels indés avec peu de moyens, mais qui sont installés. On voit Born Bad avec l’album d’Arthur Satan, l’album s’est vendu énormément juste avec du bouche à oreille. C’est vrai que Born Bad est un peu installé, mais ça n’a rien à voir avec Because ou des choses comme ça. À côté de ça, il y a plein de petits labels qui peinent à vendre, même avec des chroniques dans Libération ; comme il y a de plus en plus de sorties, ça fait goulot d’étranglement. Nous, comme on est très généralistes, on vend les sorties majors à côté de celles de Teenage Ménopause par exemple, et on voit qu’il n’y a pas de règles. On va pouvoir vendre beaucoup un petit indé qui sera l’élu parmi tant d’autres, et on voit aussi de grosses sorties de majors qui se cassent la gueule. Reste que le principe est vachement bien de pousser des trucs qui ont de petits moyens ».

© Guillaume Ferran

La communication apparaît comme le nerf de la guerre. Difficile d’intéresser un large public à des productions faisant parfois appel à des goûts acquis lorsqu’il est matraqué du matin au soir par des produits formatés et ultra-simples d’accès. Si les plateformes de streaming proposent un volet conseil et découverte, il est le fruit d’algorithmes froids et normalisés et l’on se retrouve vite à « écouter un peu de tout », et surtout beaucoup de rien. C’est aussi pour cela que le manifeste Indies First invite à renouer avec les boutiques de disques et leurs gérants ou leurs employés : « Il mettra à votre service toute sa culture musicale pour vous conseiller et trouver le disque qui vous plaira ! ».


On demande à Martial s’il arrive à faire le pont entre une clientèle qui semble uniquement touchée par la communication des majors et des sorties plus intimistes : « Les gens qui viennent ici sont généralement assez ouverts. Ils vont par exemple nous demander un truc sorti sur une major qui est épuisé - parce qu’en ce moment, ils ne pressent pas assez et les délais de pressages sont longs - alors on leur dit ‘ça, c’est plus dispo, mais si c’était pour faire un cadeau écoutez ça, la personne à qui vous voulez l’offrir, ça, ça pourrait lui plaire’, et effectivement la personne peut repartir avec une sortie indé ».

Au-delà de la découverte inopinée, qu’en est-il de la recherche active du consommateur ? Comment voler le feu désormais jalousement gardé par les plateformes sur leurs Olympes 2.0 ? Martial admet qu’une toute petite partie de sa clientèle vient directement chiner les nouveautés à la boutique. Total Heaven dispense pourtant d’un volet chronique conséquent puisque Martial présente régulièrement les nouveautés sur les réseaux ; des chroniques écrites avec passion, doublée d’une urgence du partage, précieuse et indispensable : « Ça touche un tout petit réseau, un tout petit milieu, peu extensible, d’autant que Facebook est complètement en perte de vitesse. On vient de se mettre sur Instagram, mais c’est plus compliqué pour insérer du lien d’écoute ».


En plus de son manifeste, Indies First prépare une série de podcasts et de vidéos dans lesquels un artiste et un distributeur seront mis à l’honneur à chaque numéro. Une initiative intéressante en matière de communication qui mériterait certainement une production plus conséquente au regard du flot de sorties. La tendance lourde qu’a eu la presse musicale à se transformer en simple relai des relations presse de l’industrie n’est certainement pas pour rien dans sa désertion et dans l’hégémonie des plateformes de streaming en tant que précepteurs de découvertes.

À ce sujet, le propos de Martial reste nuancé : « La presse il y a quand même des hauts et des bas, il y a des cycles, et ça revient. Regarde Rock & Folk qui faisait la pluie et le beau temps dans les années 60 et 70, dans les années 80, c’est devenu minable. Là de nouveau ça a complètement changé avec Vincent Tannières, le nouveau rédac chef et il y a pas mal de gens qui me disent ‘j’ai vu tel ou tel chronique dans Rock & Folk’. New Noise aussi, il y a des gens qui lisent New Noise tous les mois et qui vont me commander des trucs qu’ils ont vu dedans, mais c’est très peu ».

© Guillaume Ferran

La scène reste le lieu privilégié de diffusion de la musique indépendante et comme tout le monde le sait, la pandémie fut un coup dur. Les artistes se remettent à peine et difficilement à tourner. On se demande à quel point cela s’est ressenti sur les ventes en boutique, et à quel point le travail de rabatteur effectué par les groupes en tournée est important pour la vente de disques. Si l’impact est inévitable, Martial voit le verre à moitié plein : « Il y a d’autres moyens de conseiller un groupe. Regarde le disque de Bad Nerves, ils n’ont pas vraiment joué à Bordeaux, mais comme le disque objectivement, il est super, ça nous à beaucoup plus à Babouche et à moi, on l’écoutait du matin au soir au magasin, les gens levaient la tête en demandant ce que c’est. On a dû en vendre cinquante ! Fatalement les disques que l’on choisit de passer en magasin ça va toucher les gens ».


On remercie Martial et Babouche et on vous donne rendez-vous au 6 Rue de Candale pour soutenir les artistes indépendants dans les bacs de Total Heaven, ainsi que sur le site Indies First pour plus d'informations sur leurs différentes initiatives.

© Guillaume Ferran
 

Arthur Brière I 14.11.2021




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