Isis et Elsa Lherm, deux sœurs artiste et architecte, sont à l’origine de PYR, leur premier projet commun, un film de science-fiction co-écrit avec leur frère Marius pendant le premier confinement et réalisé pendant l’été 2020 dans la vallée de Barèges dans les Pyrénées. Le film sera projeté à la Fabrique Pola le 2 Février 2022 à 18h.
Trois chercheurs et chercheuses chargé.e.s d’une mystérieuse mission progressent dans une forêt à flanc de montagne désertée par les humains depuis longtemps. Pisteuse-géologue, siffleuse-interprète, topologue-botaniste ou cuisinier, iels arpentent et étudient le terrain et ses éléments armés d’outils précieux, étranges et intrigants. Mais leur connaissance du terrain ne parvient pas à compenser les défaillances de leurs technologies qui cessent de fonctionner dans ce milieu reculé… Leur itinéraire se brouille jusqu’à disparaître, leur assurance s’étiole et les rencontres inquiétantes avec les dernier.e.s habitant.e.s terminent de les noyer dans une nature enveloppante.
C’est un film sur l’errance, sur la connaissance qui s’acquiert par l’expérience de la marche, par le corps à corps engagé avec une nature que l’humain ne domine plus. Il s’agit d’acceptation et de résilience, et d’un fantasme de l’effondrement du monde. Les frontières entre paysages et souvenirs s’amenuisent, le cadre spatio-temporel reste flou et l’on se laisse submerger par la forêt grandiose, la montagne minérale et majestueuse et l’ambiance sonore envoûtante venue d’un autre monde. Une quête inconnue que chacun et chacune interprétera selon ses rêves et son imagination.
Rencontre avec Isis et Elsa, les deux réalisatrices :
Vous êtes toutes les deux très créatives, qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir réaliser un film ? Pourquoi ce médium plutôt qu’un autre pour ce projet ?
Au début, il y a nous trois, frère et sœurs. Isis préparait son diplôme et elle nous a montré un court-métrage qu’elle avait fait et qui en quelques minutes racontait tout un monde qui nous parlait à tous les 3, et on s’est dit "mais attend, ah bon c’est possible de faire des films en fait ? Avec nos moyens, à partir de rien, on peut faire des trucs comme ça ?"
On s’est décidé à reprendre le scénario de la vidéo d’Isis, puis à raconter toute l’histoire.
« Faire un film » était évident. On est sœurs, on a donc passé notre enfance et notre jeunesse dans la même maison où on a regardé énormément de films ensemble, c’est sûrement pour ça que ça nous paraissait évident de faire un film plus qu’un autre médium. On a un peu eu l’impression que nos heures infinies passées devant les écrans, les films, les jeux vidéos, devenaient enfin une sorte de matière noble dans laquelle puiser.
Réaliser un film demande du temps, du matériel, du budget, beaucoup de travail et d’investissement, comment avez-vous géré tout ça ? Qu’est-ce qui a été le plus compliqué ? Et qu’est-ce qui a été le plus plaisant dans tout le processus ?
Ça a été un travail très long et fastidieux oui ! Il y a eu beaucoup d’étapes différentes et j’ai l’impression qu’on a travaillé par paliers, d’abord construire l’écriture, puis simultanément organiser le tournage, entre temps fabriquer tous les accessoires et les costumes, puis un jour ça arrive, c’est le tournage. Mais on était toujours en train de faire des réglages, et de laisser un peu d’incertitude et de place à l’improvisation. Pour le budget on a fait avec ce qu’on avait (c’est-à-dire très peu).
Le tournage a duré une semaine, on était dans une maison de la famille, tout ce qu’on a dépensé c'était pour du tissu pour les costumes et les accessoires, puis les repas de l’équipe et l’essence pour se déplacer sur les lieux de tournage. On a tout trouvé auprès d'ami.es qui ont bien voulu nous prêter une caméra, un micro, et même une voiture ! Le meilleur moment a été le tournage, c’était vraiment l’aventure ! C’était aussi très intense, et il y avait cette peur de trop en demander à nos ami.e.s, de dépasser leurs limites, mais on échangeait pas mal là-dessus pour s’assurer de bien saisir le mood et l’énergie de chaque personne.
On a commencé ce projet avec aucune idée d'où il allait mener, on a fait ce qui nous plaisait. Au début, ça a vraiment été une incroyable bouffée d’inspiration. Le fait de ne pas avoir de budget, ni de formation cinéma ou audiovisuel et donc aucun compte à rendre, ça nous a permis une super grande liberté, ça a rendu le projet résilient. Le plus compliqué, ça a été la post-production. Il faut du matériel, des logiciels, des connaissances techniques, énormément de temps. C’est certainement cette partie qui a été la plus éprouvante.
« Le lieu où l’on a tourné c’est vraiment un lieu familial et un endroit fondateur pour nous, on y va depuis toujours, on l’a exploré, inventé on y a vécu beaucoup d’aventures »
C’est un film que vous avez fait en famille et avec des ami.e.s très proches, d’abord pourquoi ce choix et ensuite quelle force ça a donné à la création et à la réalisation du projet ?
Ça nous a permis d’embarquer des gens dans des conditions toutes bricolées, un peu au jour le jour. Nos ami.e.s nous connaissent et savent que l’on est comme ça aussi en dehors du travail, ça a pu les laisser dans une zone connue où iels étaient à l’aise de tourner. On s’aventurait dans quelque chose d’assez vertigineux, on a contrebalancé avec le fait de s’entourer de proches, pour récupérer de la force et de l'aplomb. C’était tout nouveau pour la plupart d’entre nous, de jouer devant, comme de se retrouver derrière la caméra. Donc il y avait une espèce de vulnérabilité réciproque et on était très à découvert là-dessus. On se disait qu’on allait essayer, et qu’on ferait avec ce dont chaque personne était capable, sans être sûres de quoi que ce soit à l’avance. De manière générale, on a fait avec les moyens du bord. Le lieu où l’on a tourné c’est vraiment un lieu familial et un endroit fondateur pour nous, on y va depuis toujours, on l’a exploré, inventé, on y a vécu beaucoup d’aventures. En fait, tous ces choix nous ont permis de faire naître le projet en terrain connu, on y était absolument à l'aise, on connaissait les recoins, les chemins de traverses.
Vous avez choisi un cadre spatio-temporel très peu (voire pas) défini ? Qu’est-ce-qui vous intéressait dans le fait de priver le spectateur, comme vos personnages, de tout repère ?
On ne voulait pas donner tout à voir et à comprendre aux spectateurs et spectatrices. On voulait que même le récit linéaire se perde et se fragmente, sans clarté ni logique. L’idée était d’inventer un monde où les choses ne sont pas comme dans le nôtre, où les relations ont changé. On imagine que c’est un récit post-effondrement, mais ce n’est pas tant le sujet, le film ne nous donne en fait que très peu d’infos. Chacun.e en fait un peu ce qu’iel veut. Ces lieux se révèlent impalpables, insaisissables. On imagine un cadre qui n’a même pas forcément les mêmes lois physiques et temporelles. On voulait qu’il y ait de multiples lectures des images de ce monde de PYR. On a eu envie de très peu le définir aussi pour que ce soit aux spectateur.rices de se poser des questions, de lancer des hypothèses qui lui sont propres.
« Dans la nature, le blanc c’est une exception, presque une anomalie »
Comment êtes-vous arrivées à ces choix concernant les costumes blancs immaculés et les accessoires comme le couteau gravé ou les instruments à vent ? Quelles étaient vos inspirations ?
L’idée était de faire comprendre rapidement, instinctivement qu’on suit des chercheur.euses, et le blanc s’est imposé assez naturellement, ça fait laboratoire, scientifique. Ce blanc intense représente aussi l’uniforme de ceux qui viennent découvrir, s’approprier brutalement des territoires. Il y a une opposition entre la nature, les paysages et les personnages qu’on voulait traduire. Dans la nature, le blanc c’est une exception, presque une anomalie (Gilles Clément, jardinier, paysagiste, botaniste, entomologue, écologue et écrivain français, en parle dans son livre Le Blanc). On s’est beaucoup inspiré d’univers de cinéma et de jeux vidéo fantasy, les instruments à vent c’est un hommage au film Nausicaa de la vallée du vent de Hayao Miyazaki. Leur aspect immaculé et lisse les rend hybrides, Sont-ils nés de la main humaine ou de la nature, d’une force mystérieuse, voire magique ?
Le film est silencieux, contemplatif, mais imprégné de ces mélodies presque extraterrestres, qu’est-ce qui vous a inspiré cet univers sonore ?
Notre cousine, la compositrice Calling Marian, a fait ce travail incroyable, l’ambiance, le mixage et la musique. Parce que forcément comme le tournage était un peu chaotique, il fallait beaucoup bricoler en post-prod … et vraiment on n’aurait jamais pu faire ça sans elle. C'était un choix aussi d’avoir un film plutôt contemplatif avec très peu de dialogues. On a choisi une mission sans parole, seulement l’essentiel. Pour l’ambiance, on voulait faire une sorte de nappe continue qui évolue avec le film comme une seule pièce, qui change de ton et s’enfonce avec nous au sein d’une force sombre et étrange. On a construit une grille de lecture qui servait de repère à la compositrice pour accompagner les émotions qu’on voulait transmettre à chaque moment. Comme c’est un film avec très peu de dialogues, on avait vraiment besoin d’utiliser la musique comme un langage.
Il y a un corps à corps avec la nature qui est très intéressant, et qui s'accroît au fil que le film avance. D’abord la coupe, l’observation et la cuisine des fleurs et des feuilles, puis les mains sur la roche, les corps debout dans l’eau puis enfin allongés dans l’herbe, les habits qui finissent submergés dans le lac.
Cette idée d’une nature qui engloutit ces êtres comment ça vous est venu et pourquoi vous avez eu envie de traiter ce sujet ?
On a eu envie de traiter d’un égarement, d’un lâcher prise, de l’acceptation de ne pas savoir. Les chercheur.euses acceptent d’arrêter de chercher, submergé.es par une force naturelle insurmontable. On a pensé le paysage comme un personnage à part entière, en s’inspirant de la Fukai de Nausicaa, de la forêt de Mononoké et de la Terre du milieu du Seigneur des anneaux.
Il y a aussi beaucoup d’éco anxiété dans ce projet, et c’est une manière de sublimer cette angoisse, de dire notre amour pour ces lieux si précieux, la montagne, la forêt. On les a imaginées puissantes, gorgées de souvenirs, de forces. Cette idée de la nature qui engloutit les personnages est une métaphore de notre finitude en tant qu’êtres humains. Commencer l’écriture pendant le premier confinement a eu un rôle fondamental, à un moment immensément angoissant où les gens disparaissaient beaucoup plus vite que d'habitude. Aborder la question de notre disparition ou extinction, de l’angoisse des enjeux climatiques, de nos choix face à cela, résister au maximum ou accepter. Ce film parle clairement de résilience, d’acceptation de notre petitesse.
« Cette idée de la nature qui engloutit les personnages est une métaphore de notre finitude en tant qu’êtres humains. »
Qu’est-ce que ça fait d’avoir son film projeté pour la première fois à Pola ?
On est trop contentes d’enfin pouvoir le montrer ! Quand on l’a fini en août dernier, on a fait une première au cinéma de Barèges, là où on a tourné. On y a invité plein d’ami.es et de famille, et c'était un événement incroyable et intense. Cette projection à la Fabrique Pola c’est la première fois qu’on le montre véritablement hors de notre cercle privé, ça fout un peu la pression mais c’est aussi vraiment génial de sentir que le projet intéresse des gens ! Qu’on nous propose de prendre la parole pour le présenter, qu’on nous fasse confiance et qu’on apprécie notre travail !
Encore un immense merci à Isis et Elsa d’avoir répondu à mes questions et d’avoir partagé leur détermination, leur ambition et leur volonté inspirantes. On a hâte de (re)découvrir ce film poétique et envoûtant le 2 février 2022 à la Fabrique Pola !
Infos Pratiques
2 février 2022 / 18h
Accès libre et gratuit sans réservation
Fabrique Pola : 10 Quai de Brazza – Bordeaux rive droite
Accès par Tram B – Bus 45, 50, 91, 92
Coline Tauzia | le 27.01.2022
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