A l’occasion de la sortie de leur nouvel album Maita Chén, Feather a rencontré les membres du groupe Chet Nuneta. Interview dans une ambiance intime et chaleureuse.
Chet Nuneta explore les richesses liées à la rencontre musicale de ses membres. Le groupe de polyphonie du monde et percussions est composé de cinq membres qui apportent chacun ses influences, désirs, signature vocale et percussive. Ils partagent leurs héritages multiculturels et linguistiques dans leur nouvel album : Maita Chén, écho de terre, éclat de femme.
L’album prône le retour à l’essentiel féminin et l’indispensable réconciliation avec la nature. Feather a eu l’honneur d’être invité à partager une journée au pied des Pyrénées et de rencontrer les trois femmes du groupe : Emma, Manupe et Bea. Ces trois personnalités chaleureuses et solaires ont répondu à nos questions et nous ont offert une performance live intime et passionnée de leur titre Campos de Olivos qu’on est ravis de partager avec vous !
Est-ce que vous pouvez vous présenter ? Qui est le groupe Chet Nuneta ?
Chet Nuneta est un groupe de polyphonie du monde et de percussion composé de quatre chanteurs et chanteuses et percussionnistes et d’un percussionniste. Au-delà des voix, Chet Nuneta propose une approche très physique du chant, aux frontières entre expression théâtrale et danse. Le groupe existe depuis vingt ans, il a au fil du temps profité des nouvelles influences des nouveaux membres et évolue avec les années.
C’est un ensemble percussif et vocal qui est très dynamique dans l’espace, qui est vibrant et visible.
Chet Nuneta est né comme un groupe qui revisite des chants traditionnels tout en développant sa propre musicalité. Les trois derniers albums, et Maita Chén en particulier, sont de véritables albums de création. On est cinq musiciens et musiciennes, tous de culture et d’origine différentes, le groupe profite d’une véritable richesse multiethnique. Andalouse, italienne, français, franco-marocain berbère, on s’inspire mutuellement !
Dans nos spectacles, la danse, la mise en scène, le théâtre : c’est un tout qui accompagne et met l’accent sur la voix qui résonne dans le corps, dans le mouvement, à travers les percussions. C’est un ensemble percussif et vocal qui est très dynamique dans l’espace, qui est vibrant et visible.
Vous dégagez une force, une vraie puissance féminine : comment avez-vous introduit cette présence ?
À la base, Chet Nuneta c’était un trio de femmes, puis le groupe a grossi et s’est élargi avec les nouveaux membres, mais la puissance féminine est là depuis la création du groupe, elle en est une part fondamentale. Depuis le début, il y a cette sensibilité féminine, à travers la polyphonie, à travers le corps aussi. L’expressivité des corps féminins est mise en valeur sur scène. Aussi, pour ce quatrième album, Maita Chén, il y avait des sujets qui résonnaient en nous qu’on a voulu mettre en lumière, encore plus.
L'album raconte le monde actuel, les femmes et le désir d’un respect envers les femmes et la nature. Il y a selon nous un écho inévitable entre le respect des femmes et le respect de la nature. Sans rentrer dans un manifeste éco-féministe fort, il y a entre la femme et la nature, une synergie libre et belle qu’on voulait mettre en valeur. Maita Chén c’est une œuvre à travers laquelle on raconte les moments de vie de différentes femmes, à travers la musique, le chant, les histoires et les rythmes. Les femmes sont si proches de la nature, comme elle elles donnent la vie. Il n’est toutefois pas question de rejeter l’homme, les deux hommes du groupe apportent leur propre lumière, et leur part de féminité qui est différente et riche aussi. Il ne s’agit pas de séparation de genre, mais plutôt de récits sur les qualités et les forces de chacun, d’une symbologie, de comment cohabitent les femmes, les hommes et la nature.
C’est une grosse partie du travail de création. La proximité avec les gens qui nous aident est aussi très importante, notamment tout ce qui concerne les traductions
Vos influences sont très nombreuses et très diverses : qu’est-ce-qui vous inspire ?
Chet, ça a toujours été ça, plein d’influences qui viennent de partout. On a déjà beaucoup de chance de toutes et tous être de cultures et d’ethnies différentes. On se nourrit mutuellement de nos différences, on puise dans les racines culturelles de chacun et chacune. Chet c’est aussi la curiosité musicale à l’état pur. Il y a les influences que l’on aime et que l’on connaît, mais aussi tout un travail de recherche. Comme des anthropologues, on étudie, on mène des recherches sur des textes, des sonorités, des poèmes, des auteurs ou des autrices qui nous plaisent et on réfléchit à comment faire fonctionner tout ça. C’est une grosse partie du travail de création. La proximité avec les gens qui nous aident est aussi très importante, notamment tout ce qui concerne les traductions. Il y a des compositions en arabe ou encore en bulgare, et c’est bien souvent la proximité avec des proches ou des artistes qui nous inspire la possibilité de créer dans leur langue, d’échanger avec les personnes et de partager une œuvre riche de sens.
On s’assure d’avoir la bonne complicité, une entrée juste dans les sons et les prononciations, mais aussi dans les sens. On entre dans le vif de la langue, c’est la musique du monde.
Ensuite ce qui nous inspire… tellement de choses. Dans la musique il y a des codes, des claves typiques dans la musique cubaine par exemple, mais pour d’autres morceaux on a ce besoin d’aller plus loin dans la recherche, pour apporter notre patte, ou aussi pour introduire d’autres influences et mélanger les styles, avec le tambourin italien par exemple, ou le tango flamenco. On créé sur-mesure. Mais finalement ça part presque toujours du rythme, les rythmiques appellent à la création de morceaux particuliers et on joue autour de ça.
En chantant dans différentes langues on se redécouvre beaucoup, on s’évade. On se pose des questions : comment aller ailleurs sans s’approprier des cultures. On s’efforce de rester vigilantes, car si le fait que ce soit nos propres compositions nous donne une grande liberté, on s’interroge toujours sur l’interprétation de ceux qui font partie des cultures qu’on emprunte. Il faut étudier, il faut « aller au pays pour revenir », pour le comprendre, pour pouvoir le transmettre au public sans être dans la fausseté, en étant dans l’hommage.
Alors c’est un album un peu particulier mais dans sa génération parce qu’il est né pendant le covid. Sa création nous a permis de trouver notre souffle, un peu de musicalité et de partage dans une période un peu vide
Parlez-nous de Maita Chén, votre nouvel album qui sort le 27 mai 2022 ?
Alors c’est un album un peu particulier mais dans sa génération parce qu’il est né pendant le covid. Sa création nous a permis de trouver notre souffle, un peu de musicalité et de partage dans une période un peu vide. L’album est dans la même lignée que les précédents en terme de polyphonie, de percussions et d’improvisations inspirées de différents styles, mais des thématiques qui nous tenaient à cœur se sont dégagées pendant la période de création : on voulait parler de la femme et de la nature. La féminité se cache un peu partout, chez les femmes, les hommes, dans la nature, c’est une énergie qui nous alimente et qui nous nourrit aussi sur le plateau. Ce binôme femme nature traduit pour nous l’urgence de se réconcilier avec la nature, et on imagine une double réconciliation, avec la femme et avec la nature, une symbiose avec ces deux êtres et un respect envers elles. Maita Chén en calé, une langue gitane espagnole, ça veut dire « la mère » et « la terre ».
Il y a aussi dans cet album, comme dans les précédents, des influences nord-africaines (notamment apportées par Fouad) et des influences africaines au sens où le continent africain a été le berceau, les racines, de tant de musiques qui ont ensuite été exportées à travers le monde entier et maintenues vivantes grâce aux nombreuses diasporas. Les chansons de Maita Chén sont écrites et composées dans une multitude de langues : espagnol, marocain, italien, créole réunionnais, kanak, brésil, russe, bulgare ou encore portugais. Les styles se mélangent, de la rumba colombienne, au fado portugais en passant par la batucada brésilienne, les chants bulgares ou le flamenco. Le challenge était aussi d’apporter une touche de modernité, une touche contemporaine et de ne pas se cantonner au folklore classique. Fred a ainsi apporté aux compositions des éléments contemporains grâce au synthé notamment, des sons électro plus actuels viennent apporter une fraicheur à l’album !
Vos performances sont très théâtrales, très scéniques, au-delà du chant. Quelle est votre approche créative quand vous imaginez vos spectacles ?
Bea et Manupe ont fait de la danse : contemporaine, africaine, du tango. C’est venu assez naturellement avec la musique en fait, sans oublier qu’il y a un lien très fort entre la danse et la percussion. On aime les inventions, la recherche, le travail de recherche corporelle. Le théâtre physique est ancré dans l’histoire du groupe. Enfin pour ce quatrième album, on voulait aller encore plus loin, pousser encore plus, et on avait ce parti pris de faire danser notre public, de partager ce moment ensemble dans le mouvement. On voulait quelque chose de visuel, de très dansant, qui emporte, qui fasse sauter le public du fauteuil ! [rires]. Et pour le moment ça marche ! Et ça nous nourrit !
Pouvez-vous partager une anecdote sur un retour du public, ou un échange qui vous a marqué ?
Manupe : « Ah oui ! Je vendais les disques dehors après le concert et un gars m’a partagé qu’en arrivant il était triste, pas bien, déprimé, puis qu’après le spectacle il est sorti joyeux et avec la patate ! Ca m’a beaucoup marqué ! »
Bea : « Il y a quelques personnes qui nous suivent depuis tellement longtemps, depuis vingt ans parfois, et il y a cette dame qui est malheureusement décédée il y a peu de temps. Sa fille nous disait que dans les moments difficiles, elle nous écoutait et ça la remplissait de joie. On a de belles pensées pour elle, et on a décidé de lui dédié l’album. »
Comment se passent vos phases de création ? Quels souvenirs vous en gardez ?
En général, à part dans les résidences officielles où il y a un peu plus de pression (et encore), c’est beaucoup de rigolages et de super moments ! On se rappelle de ce moment où notre metteur en scène nous faisait un échauffement vocal dès le matin et c’était un vrai pari avec Fouad qui n’est pas chanteur mais comédien de formation. Il a été si sérieux, il a tenu son échauffement jusqu’au bout avec beaucoup de rigueur, mais ça nous faisait rire !!
« Oh oui aussi ! On était en sortie de création et il y a des producteurs qui viennent voir le spectacle, il fallait assurer, et Bea débarque sur scène avec ses pantoufles ! [rires].
Est-ce que vous travaillez sur des clips ou des formats vidéo qu’on pourra découvrir prochainement ?
Oui ! Oui ! On est en plein travail de recherche pour un clip, mais pas que… Mais d’abord là on travail sur un clip pour le titre Campos de Olivos. C’est un morceau qui parle des souvenirs de l’enfance, de la nostalgie joyeuse, des paysages restés gravés dans la mémoire. On sortira le clip avant 2023 et puis on aimerait aussi tourner des petites live sessions : des capsules de morceaux du nouvel album !
Où est-ce qu’on peut venir vous voir prochainement ?
Cet été on jouera à Gaillac le 28 juillet au Square Maréchal Joffre, à Lautrec le 29 juillet et à Vezelay le 26 août aux Rencontres Musicales. D’autres dates sont prévues aussi pour l’automne, le détail est sur notre site internet.
Une recommandation que vous nous invitez à découvrir ?
Bea : Silvia Perez Cruz ! C’est une chanteuse catalane, compositrice, elle chante du flamenco et des chansons plus actuelles aussi, parfois pop ! Elle a une sensibilité incroyable, je l’adore ! Je conseille d’aller écouter sur Youtube : Alfonsina en el mar, ah c’est magnifique !
À l’époque, tous les jours il y avait le marché multiethnique où toutes les cultures se mélangeaient, le monde vendait de tout, des épices
Manupe : Orchestra du Piazza Vittorio : c’est un groupe qui est né dans une place multiethnique de Rome. À l’époque, tous les jours il y avait le marché multiethnique où toutes les cultures se mélangeaient, le monde vendait de tout, des épices. Et puis un orchestre s’est formé alors que les musiciens se sont rencontrés et ils sont aujourd’hui une vingtaine à jouer ensemble, à passer d’un univers à l’autre : arabe, sud-américain, indien… C’est génial !
Emma : La Chica : c’est une chanteuse vénézuélienne qui joue aussi du piano. Elle est entre musique actuelle électro et musique du monde. Elle chante principalement en espagnol et aussi un peu en français. C’est une artiste très complète que j’ai découverte sur Arte concert sur un festival de jazz. Elle est seule, j’aime sa façon de s’adresser au public, ses compositions et qu’elle soit aussi indépendante !
Vous préférez… la scène ou le studio ?
Bea et Manupe en cœur : « La scène ! » Emma en même temps : « le studio ». « Ah merde » [rires]. Le studio c’est comme un outil, un laboratoire, c’est magnifique pour affiner les projets. La scène c’est un peu l’aboutissement, la récompense finale !
Plutôt performance ou création ?
L’un et l’autre vont ensemble, il faut se la gagner la performance, c’est la récompense encore une fois. La création c’est difficile, ça peut être déchirant comme magnifique. Il y a les nuits blanches, beaucoup de questionnements. C’est long aussi, la création chez Chet c’est un peu comme de la dentelle, les créations s’étendent sur plusieurs années, c’est fascinant mais il faut mettre beaucoup de soi. La performance c’est le plaisir du travail bien accompli, avec le groupe, et l’échange avec le public. Composer à cinq ce n’est pas toujours facile non plus, mais cette émulation nous nourrit, nous enrichit tant.
On vous invite vivement à aller écouter leur album disponible sur toutes les plateformes de streaming ou en version physique avec les traductions de toutes les chansons. On espère aussi vous avoir convaincu d’aller voir le spectacle live pour vivre une expérience palpitante et faire corps avec la musique !
Coline Tauzia | 27.05.2022
Comments