Flavien Berger était de passage à Bordeaux lors de sa tournée, à l'occasion de la sortie de son nouvel album Contre-Temps, et nous a reçu au Musée des Arts Décoratifs et du Design à Gambetta.
Accompagné de ses amis, il nous a donné de son temps pour répondre à nos questions et nous conter son univers. Nous nous retrouvons alors dans une salle, une partie moderne du musée, rénovée depuis peu, lors de l'exposition Phénomènes par Marion Pinaffo et Raphaël Pluvinage.
Bonjour Flavien Berger, comment ça va, pas trop fatigué ?
Non pas plus que d’habitude, j’étais à Berlin hier pour un showcase. J’ai pris l’avion un peu tôt. Mais en même temps c’est pas mal de prendre l’avion tôt parce que lorsque le soleil se lève tu es au-dessus des nuages donc c’est en fait super beau. Un moment de malade visuellement.
Tu as été professeur, tu as monté ton Collectif Sin, tu es producteur, écrivain, musicien… Y a-t-il quelque chose que tu ne fais pas ? Comment tout ça a commencé ?
C’est petit à petit en fait. J’ai fait de la musique pour moi, pour commencer, sans réalité de production, de diffusion ou de public. Et puis j’ai rencontré un label, Pan European Recording, en 2012 / 2013 et à force de sortir des disques petit à petit, ça m’a ouvert à des collaborations, vers d’autres gens et quand j’ai commencé à vivre vraiment de ma musique, j’ai pu m’y consacrer. Donc ça c’était un an après la sortie de mon premier album, Leviathan et avant j’ai fait des études de création industrielle. C’est là où j’ai rencontré Juliette, Marion, Raphaël et Coline. C’est là aussi où j’ai rencontré Quentin, avec qui j’ai monté le Collectif Sin. C’est surtout mes études qui m’ont aussi permis de me propulser vers d’autres gens. Même si mes études n’étaient pas en musique, ça a permis à ma musique de s’ouvrir vers un autre monde artistique et d’autres pratiques.
Tu as joué à la Rock School Barbey pour la sortie de ton nouvel album Contre-Temps, que tu aurais réalisé dans ta chambre, c’est bien ça ?
Je dis chambre mais en fait il n’y a pas de lit. C’est plus un studio, c'est ce que j’appelle une création domestique. Donc en fait j’ai une pièce supplémentaire, là où je vis, qui avant était une chambre et qui est devenu un studio. Mais c’est pas un studio professionnel à proprement parlé. Donc on est sur un mini studio, avec mon ordi personnel qui me sert également pour regarder des films ou envoyer des mails. La pratique musicale est liée à mon quotidien, je peux travailler dans ma cuisine, ça m’accompagne partout. Comme une sorte de petit artisanat. Comme un petit atelier que je peux me trimballer.
Lorsqu’on écoute ton album on est sur des rythmiques plus pop que les précédents, qui vont peut-être parler à un public plus large. Est ce une volonté de ta part ?
L’idée du public m’est assez égale : je ne fais pas de la musique pour ça plaise, pour que ça passe à la radio ou quoi. Ça ne m’intéresse pas des masses. Par contre ce qui m’intéresse c’est que, la musique qui passe à la radio, donc la musique qu’on écoute qui est de la pop, c’est un terrain ou chantier qui est assez alien pour moi avec beaucoup de musiques aux tournures répétitives.
Et je me suis demandé si je pouvais dire autant de choses à ma manière mais justement dans ce format pop là, donc dans un format radio. Au risque que justement, ça ne passe pas à la radio. Donc faire de la « pop » c’était justement un terrain d’expérimentation pour moi. Comme un nouveau défi, parce que ce n’est pas naturel pour moi. Je voulais me pousser dans mes retranchements. Même si d’un certain côté c’est dans la continuité de ce que je faisais avant. Pour d’autres gens je suis très pop vois-tu. Donc voilà, c’est une espèce de proposition cet album.
On ressent la plupart de tes musiques comme un voyage où l’on entend beaucoup de sons divers, comme une sonnerie Iphone, notamment sur 9x9. Ce sont des sons mis volontairement ou est-ce du live pur et dur lorsque tu enregistres ?
Et bien les deux. C’est marrant que tu parles de ça parce qu’effectivement ce sont des phénomènes, ça arrive : un truc qui se passe, un « accident » … Ce sont des choses qu’on garde. La sonnerie de l’Iphone ; même si je voulais intégrer des sons d’aujourd’hui dans mes musiques, elle est arrivée à ce moment-là, sans que je le prévoit. Donc je n’y ai pas touché.
Ton album Léviathan touchait, selon moi, plus à l’imaginaire, plus poétique, il y avait un côté plus abstrait alors qu'avec Contre-Temps, les histoires que tu nous contes sont plus « réelles » si je puis dire ?
Qu’on le veuille ou non, un travail créatif, artistique, c’est un instantané d’un moment de sa vie. Donc ce que je préfère dans Contre-Temps ; qui est un disque que j’aime comme quelqu’un, que j’aurais créé comme un monstre, ce sont les textes. Ce sont les choses les plus abouties. Ils peuvent sembler très simples et c’est mon but mais c’est quelque chose que j’ai bien plus travaillé. Beaucoup plus qu’avant. Et quand je relis les textes de mes précédentes chansons, il y a toujours des mots, des tournures où je me dis que j’aurais pu dire ça autrement. Je n’avais pas envie que ça me re-arrive. Du coup j’ai creusé, sculpté jusqu’à trouver du sens dans chaque chose, chaque mot et qu’ils me conviennent jusqu’à la fin de ma vie. Aujourd’hui encore, je découvre des choses dans mes textes que j’ai écrit il y a un an.
On retrouve les chiffres 7, 8 et 9 sur tes trois albums, y a-t-il une signification ?
Je suis partie du 8 d’abord, le 8x8 qui est un morceau sur Leviathan, je me suis dis ça serait marrant de faire une suite à 8x8 donc j’ai fait 7x7 et après je me suis dis que je faisais un album sur le voyage dans le temps, donc de parler de ce qu’il s’est passé avant 8x8. Donc j’ai fait le fameux 9x9. Et on n'est pas à l’abri qu’il y ait des puissances encore, des multiples à termes. Et je n’ai pas plus de sens à ça si ce n’est une espèce d’écrin de cohérence dans le chiffre. J’aime bien les signes.
J’aimerais qu’on parle de la pochette de ton album, qui est, à ton image, intrigante, mystérieuse avec tous ces signes et qui m’a amené à me poser pas mal de questions. On pourrait presque penser à des signes maya ou extraterrestres surtout avec ce fond « espace ». Comment l’as-tu créé ?
Il y a quelque chose à déchiffrer dans le sens des choses. Pourquoi les phénomènes… C’est comme une enquête, à laquelle je t’avoue il n’y a pas de réponse. C’est un labyrinthique, c’est une sculpture de Maya de Mondragon avec qui je travaille régulièrement, avec qui j’écris des textes, j’ai fait un clip… C’est donc une sculpture à elle et la pochette est de Juliette Gelli. C’est elle d’ailleurs qui fait toutes mes pochettes et qui fait parti du collectif SIN aussi. Et donc cette sculpture, il y a quelque chose d’intemporel comme ça, quelque chose d’évanescent sur le temps.
Peux-tu nous parler de Maddy La Nuit ou Castelmaure ? Il y a une forte présence féminine qui est assez omniprésente…
Toujours. Il y a toujours cette présence féminine, ou la présence de l’autre. Que ce soit un homme ou une femme en fait. Qui parle de duo, de rapports amoureux, de couple, de sentiments. Je pense que Maddy La Nuit c’est un peu le pendant de Vendredi. C’est l’histoire d’une absence : un thème qui m’a toujours attiré. Dans lequel j’ai beaucoup de choses à dire : l’absence dans l’amour. C’est un disque assez optimiste en fait, ça parle d’absence mais ça parle aussi beaucoup de retrouvailles et de schémas communs et de manières de s’en sortir pour s’aimer malgré tout.
On adore...
J’aimerais reprendre avec toi des titres de ton album comme Deadline par exemple : on connait parfois la frustration de certains artistes lorsqu’ils travaillent avec leur label, leur maison de disque. Trop de pression, trop d’objectif chiffrés… Est-ce que tu ressens cela ? De plus, le mot « deadline » en lui-même pose à réflexion : on retrouve la mort, la ligne à ne pas franchir. On peut l’interpréter presque comme un antonyme à la créativité artistique. Est-ce cela que tu as voulu mettre en avant ?
C’est la pression qu’on se met soi-même, c’est la pression du public aussi. En fait t’es tout seul, c’est un album que tu créés tout seul. Tu t’imagines plein de gens qui t’attendent au tournant, sans jeux de mots, (parce que c’est l’histoire d’un crash de voiture donc voilà) c’est juste comment décharger la pression que tu te mets à toi-même parce que finalement c’est moi-même qui me met la pression. La « personne » que je vouvoie, à qui je m’adresse, ce sont les gens dans ma tête. Parce que c’est moi qui veux le faire cet album, personne ne me force à le faire.
Tu aimes à dire que tu veux créer à chaque fois un concert exceptionnel, mémorable. Que nous réserves-tu ce soir ?
Alors je n’en sais rien mais moi je fais mon max. Hier le showcase à Berlin j’ai eu des retours comme quoi les gens étaient étonnés. J’aime faire des improvisations c’est vrai mais jamais je n’insulte le morceau du disque, ce pourquoi les gens viennent finalement. Ils ne doivent pas être déroutés mais je veux créer la curiosité sans être dépaysé…
L’album se clôture avec un magnifique solo de guitare présent sur le morceau Dyade qui nous laisse en suspend… Suspendu dans un espace que nous sommes libres d’interpréter, à notre façon !
Merci Flavien Berger.
Infos Pratiques
Pour ceux qui souhaiteraient voir, revoir ou re-revoir Flavien Berger, direction le festival Vie Sauvage cet été
Fanny Mielnitchenko I 04/02/2019
©Fanny Mielnitchenko
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