Ce 27 novembre dernier, il flottait dans la cale du célèbre ferry Bordelais, une atmosphère lourde de tendresse et de bienveillance. La salle, transformée en havre de paix grâce aux effets de lumière et aux coussins astucieusement installés devant la scène, ne pouvait que prévoir une soirée intimiste, propice à la rêverie.
En effet, The Saxophones, originaires d’Oakland en Californie, faisaient, ce soir là, escale à l’Iboat pour une des deux seules dates de leur tournée française.
Il faut dire que le groupe entretient une certaine alchimie avec les bateaux : leur dernier album, Songs of The Saxophones, a été composé dans la baie de San Francisco, sur un bateau ; et les voilà nous embarquant maintenant sur un ferry transformé en salle de concert, amarré aux Bassins à Flots, pour un concert d’une mélancolie incomparable.
Juste avant que cette soirée n’emplisse les coeurs d’un tourbillon de douceur qui jamais ne pourra plus s’en échapper, Feather rencontrait les membres du groupes : Alexi Erenkov, Alison Alderdice et Richard Laws, pour une interview aux allures d’une discussion entre amis, tant leur personnalité est le reflet de leur musique.
Salut Alexi, Salut Alison, Salut Richard !
Dites-moi, comment vous sentez-vous avant un concert ? Est-ce que vous avez des rituels, des habitudes ?
Alexi : Salut Julie. Écoute, pas vraiment. Ah si ! On essaie de trouver de la nourriture! [rires]
Alison : Oui, c'est impressionnant comme c'est facile, quand tu voyages tout le temps d'un soundcheck à l'autre, d'un concert à un autre, d'oublier de prendre du temps pour manger avant de jouer. Ici on a eu à manger mais des fois c’est un peu la panique. Mais sinon, Richard nous dit souvent "good show guys", quelque chose de gentil comme ça et ensuite on se check tous ensemble !
Question basique mais : pourquoi ce nom "The Saxophones" ?
Alexi : J'ai commencé ce projet seul, quand j'étais au lycée. Je jouais du saxophone et à un moment j'ai connu une période où j'en ai eu un peu marre d’en jouer, je le rejetais un peu. Donc appeler le projet comme ça, c'était comme dire un bel au revoir au saxophone. Lui rendre hommage, mais aussi s'en éloigner. Mais maintenant je rejoue du saxophone, seul et aussi dans nos musiques, donc c'est que du bon ahah !
Pouvez-vous nous décrire votre musique justement ?
Alison : Ah on a eu du mal avec ça ! Récemment on s'est positionnés sur "dreamy".
Alexi : Bittersweet (doux-amer).
Alison : Une musique minimaliste et mélancolique.
Alexi : Aussi triste qu'enjouée, je pense. C'est aussi une manière de se calmer, même si on y ressent aussi comme un soupçon d’anxiété.
Alison : Richard qu'est ce que tu en dis ?
Richard : Super minimaliste ! Et le mot mélancolique colle bien mais avec beaucoup de force également.
Je sais que toi Alison, et toi Alexi, étiez en couple avant de former un groupe, qu'est ce qui vous a amené à sauter le pas ? Et plus tard, à ce que Richard vous rejoigne ?
Alexi : Avant tout ça, on jouait tous de la musique de notre côté d'une certaine manière. Richard avait son propre groupe, moi je jouais tout seul depuis un moment, et puis j'ai eu envie de jouer avec les gens que j'aime, alors je leur ai proposé !
D’ailleurs, dans votre chanson “Mysteries Revealed”, et plus globalement dans tout l’album, il est souvent question de partage des responsabilités, de la communication et du comportement à adopter au sein d’un couple. Est-ce que le fait d’être en couple dans la vie de tous les jours représente une force, un défi pour écrire et chanter l’amour ou est-ce plutôt un sujet sensible qui représente une difficulté supplémentaire dans votre processus de création ?
Alison : C’est Alexi qui écrit les musiques, mais je dirais que c’est à la fois compliqué et à la fois très bénéfique. C’est une question qui me taraude parfois quand je pense au fait que nous sommes à la fois un couple et aussi un groupe. Etre en couple nous aide beaucoup puisque nous avons déjà traversé des périodes difficiles, non reliées à la musique, donc nous savons comment nous sortir de ces challenges là. Mais si tu n’es pas à l’aise avec quelqu’un, si cette personne ne connaît pas tous tes défauts et que tu ne connais pas les siens, j’imagine que ça doit être compliqué de jouer ensemble. Surtout dans des périodes stressantes, de tournées par exemple, cela doit encore plus augmenter le stress. Donc oui, je pense que c’est une force.
Alexi : Oui je pense au final que c’est toujours plus facile pour moi de faire les choses, de créer, avec elle, plus que ça ne le serait avec quelqu’un qui ne serait pas ma partenaire. Parfois c’est un peu compliqué c’est vrai, mais jamais trop.
Vous rappelez-vous de votre tout premier concert ? Comment l’avez-vous ressenti ?
Alexi : Oui c’était à Santa Cruz, en Californie ! C’était un show dans une maison, au milieu d’un grand salon. Je jouais de la guitare acoustique et Alison jouait des percussions. Nous n’avions pas de samplers et toute la technologie que nous avons aujourd’hui.
Alison : Au début, je ne voulais pas faire partie du projet, j’avais peur. J’étais étudiante, je voulais rester concentrée sur mes études. Alexi est allé dans un magasin de musique, et il a littéralement demandé la batterie la moins chère du magasin. Un de nos bons amis nous a dit, plus tard, que le matériel qu’on avait ce soir là ressemblait vraiment à deux couvercles de poubelle [rires]. Ce qui, nous pouvons le dire aujourd’hui, était une description très proche de la réalité ! Donc nous avons finalement joué avec cette batterie assez funky, et c’était très cool. Certaines personnes que nous avons rencontré ce soir là sont aujourd’hui des amis.
Quelles sont vos inspirations ? Avez-vous les mêmes ?
Alison : Nous avons des influences différentes, ce qui est bien pour la création. Certaines convergent c’est sur, mais je pense que je suis celle qui écoute le plus de musiques modernes : j’écoute des choses plus électro, plus dansantes comme Métronomy par exemple, des sons plus énervés, ou parfois plus tristes comme Thom Yorke. Alexi aussi écoute des musiques actuelles mais il a tendance à préférer les choses plus anciennes. Alexi : Oui c’est vrai, j’aime certaines musiques actuelles, mais ça reste toujours très chill, à l’exception de M.I.A. peut-être, qui est un peu plus énergique. Mais ce dont je suis fan c’est les vieux disques de jazz : Stan Getz, Charles Mingus, Chet Baker,... et récemment j’ai beaucoup écouté Paul Simon aussi.
Alison : ... Ce qui est marrant parce-que c’est un artiste qu’on écoutait beaucoup pendant mon accouchement. La sage-femme qui m’a aidé à accoucher avait apporté de la musique et c’était que du Paul Simon, pendant 2 heures ! [Rires]
Pouvez-vous me citer un artiste, trop peu connu selon vous que vous aimeriez mettre en lumière ?
Alexi : Quand j’étais en train d’écrire les chansons de l’album, Alison est revenue de New York un jour avec un vinyle d’un compositeur italien, un certain Vittorio Impiglia, et me l’a offert. Et c’est d’autant plus unique qu’il semble n’y avoir aucune trace de lui, ou très peu, sur internet.
Alison : Honnêtement je l’ai acheté juste parce qu’il avait une moustache rigolote, je trouvais la pochette amusante et c’était genre 1 dollar, alors je lui ai ramené et il n’a fait que l’écouter en boucle, non-stop.
Quelle chanson préférez-vous jouer sur scène ?
Alison : Moi j’adore jouer Aloha, depuis peu. Au début cette chanson était très frustrante pour moi parce qu’elle est très spéciale au niveau du rythme et tout ce qu’on faisait pendant les répétitions me semblait horrible. C'était très facile de se retrouver hors du rythme. Et maintenant, avec Richard en plus et la pratique, c’est vraiment agréable et très relaxant de la jouer sur scène.
Alexi : J’allais dire celle-là aussi ! Avec Alone Again.
Richard : Pour moi c’est Time is like a River.
Avec quel artiste, mort ou vivant, aimeriez-vous partager la scène ?
Alexi : Hmm.. Chet Baker et ses solos de saxophone ! Mais la question est : est-ce qu’il voudrait jouer avec nous ? [rires]
Alison : Chet Baker se serait cool oui ! Mais sinon j’ai toujours adoré Thom Yorke. Je le respecte tellement, si cela arrivait je serais époustouflée !
Selon moi, votre musique sonne comme un voyage : parfois un voyage dans le temps (par exemple, dans la chanson « Time is like a river », on est facilement transportés dans les années 50), et parfois il s’agit d’un voyage plus spirituel, plus sensationnel. Alors… où nous emmèneriez-vous en voyage?
Alexi : Dans le futur !
Alison : Dans le futur ? Waouw, je ne l’ai pas vu venir celle-là ! Et où ça géographiquement parlant ?
Alexi : Ahah, tu rends la question encore plus difficile ! Je dirais rendez-vous dans 100… non, 150 ans ; ici même, à l’Iboat !
Qu’est-ce que vous pensez de l’Iboat justement ?
Alexi : C’est juste : Waouw !
Alison : Oui, nous sommes un peu obsédés par les bateaux, la navigation, l’eau… et quand on a appris qu’on jouerait sur un bateau transformé en salle de concert, on était très excités. Et d’ailleurs nous ne sommes pas du tout déçus, c’est très authentique ! J’ai adoré me perdre en essayant de trouver la salle de bain, ou encore en rentrant dans la cuisine par erreur (la nourriture avait l’air délicieuse!).
Alexi : Aux Etats-Unis, il y a plus de contrôle sur les endroits comme ça. Peut-être qu’il en existe, mais ce doit être quelque chose comme 50 dollar le ticket et l’entrée doit être très filtrée. On ne s’y sentirait pas aussi bien qu’ici. [Alison a même rajouté, pendant le concert, que la prochaine étape serait de jouer… sous l’eau !]
Et qu’en est-il de vos futurs projets ?
Alexi : Nous allons sortir un nouvel album : Singing Desperately Suite, le 22 février 2019. Il est déjà disponible en pré-commande et il s’agit d’un album un peu particulier, un album concept. En effet, il reprend en introduction la chanson “Singing Desperately” et tout en gardant le même thème, il l’étire en plusieurs nouvelles chansons, plutôt courtes, mais qui fonctionnent ensemble, comme un grand collage de 10 minutes. Et cet album constituera donc une sorte de conclusion à ce thème. Je ne sais pas du tout comment le décrire précisément mais je dirais que c’est au sujet d’un homme qui arrive à accepter, à venir à bout de la souffrance causée par une femme. Alison : Waouw, on en a beaucoup parlé et c’est une belle manière de le résumer en effet.
Super ! Et bien, merci beaucoup pour votre gentillesse, et pardon pour mon accent français…
Alexi : Quel accent français ? [rires].
Alison : Juste pour que tu te sentes mieux je vais te raconter une petite histoire. On était entrain d’enregistrer un son, juste Alexi et moi : “singing desperatly” mais en français (oui oui!). On sait qu’on a des fans en France, on a pensé que ça leur ferait plaisir donc on l’a apprise, répétée et enregistrée. On y a passé vraiment beaucoup de temps. On l’a ensuite envoyée à notre équipe en France. Ils l’ont écouté et ils nous ont rappelé pour nous dire : “On peut vraiment rien faire avec ça, désolé”. Alors après ça, tu n’as vraiment pas besoin de t’excuser pour ton accent! [rires]
Je tiens encore à remercier Alexi, Alison et Richard pour leur temps et leur grande bienveillance ; ainsi que l’Iboat, pour l’organisation et la mise en place de cette belle soirée.
Julie Vertut I 25/12/2018
© Julie Vertut
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